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de Ramdane HAKEM

S'intéresse au devenir de l'Algérie dans la mondialisation

Que s'est-il passé dans la nuit du 19 au 20 avril 1980 ?

Publié le 19 Avril 2011 par Algérie en Questions in Histoire

Je crois que personne, à ce jour, n'a fait le récit de la répression qui avait frappé la nuit du 19 au 20 avril 1980, la région de Tizi-ouzou.  Voici ce qui s’était passé au campus de Hasnaoua.

Le comité de coordination du centre universitaire s'était réuni toute la nuit. Nous nous sommes séparés entre deux et trois heures du matin. Je me suis rendu dans ma chambre du bâtiment G, réservé aux salariés,  où se trouvaient déjà deux camarades, dont Aziz Tari. Je dormais quand la porte d'entrée s’ouvrit brusquement dans un bruit effroyable.

Je me souviens qu’Aziz avait dit « Ramdane, qu'est-ce qui se passe? »

Des hommes encagoulés, en tenue « cosmonautes » se ruaient sur nous. Je reçu un grand coup sur la tête, le sang gicla sur le mur. Je vécu le reste des événements comme dans un rêve : je voyais ce qui se passait mais c’était comme si j’en étais spectateur. Je n'avais plus revu Aziz jusqu'à notre première visite à Berrouaghia.

Les encagoulés qui attaquaient les chambres et ceux qui se trouvaient dans les couloirs nous contraignaient à sortir du bâtiment, mais d’autres qui se trouvaient à l’entrée nous empêchaient de sortir. Toujours sous les coups nous fumes rassemblés à l'entrée du bâtiment. Nous nous bousculions pour nous rapprocher du mur et mettre le plus de distance entre nous et les coups qui pleuvaient. À un moment j’ai regardé celui avec qui je me bousculais, c’était mon ami Boudjema Houfel. Quelle absurdité !

À l’extérieur nous étions encerclés par deux rangées au moins de militaires. Un étudiant a tenté de fuir, un militaire lui lança quelque chose entre les jambes et il tomba. Ils se ruèrent sur lui et le ramenèrent avec de grands coups dans le groupe.

On nous rassembla sur le talus situé face à la bibliothèque et au rectorat. Il y avait des tas de fumier déposés là avant l’occupation pour une plantation d’arbres, en vue d’une visite (finalement reportée) du Président Chadli à Tizi-ouzou.

Là, des militaires situés en haut du talus nous tapaient pour nous contraindre à descendre, et d’autres positionnés en bas, nous obligeaient à remonter. Nous n'avions pas le droit de nous tenir debout, nous devions rester courbés sur le fumier. La vague (comprenant entre 100 et 200 étudiants et salariés) montaient et descendait puis remontait et ainsi de suite. Nous étions, pour beaucoup d'entre nous, couverts de sang, n'avions pas mis de chaussures, une grande partie était torse nu.

Au bout d’un temps interminable, toujours sous les coups, on nous fit entrer en rang par l’arrière dans le bâtiment face à la bibliothèque. Il y avait des « civils », en fait des policiers qui remplissaient un formulaire d'identification pour chacun de nous. Trois escogriffes me prirent par le bras et me firent monter l’escalier jusqu’au premier palier. Là ils se mirent à taper. Je me souviens qu’ils me demandaient tout le temps en arabe : « qu’a dit Chadli dans son discours ? » A ce jour je ne sais pas ce qu’a dit Chadli dans son discours.  Ils me frappèrent jusqu’à ce que je tombe et m’évanouisse. Ils me donnèrent des coups de pied pour me réveiller puis me firent rejoindre la file qui sortait du bâtiment. Si mes souvenirs sont bons, les policiers qui nous prirent en charge alors ne nous ont plus frappés.

Ils nous firent monter dans des bus ramenés pour l’occasion, disant que nous allions être transférés au Sahara, que nous serions fusillés… Nous étions abattus. Les bus démarraient quand le courage nous revint et nous commençâmes à crier des slogans. Remontant la côte qui mène vers le stade et la ville nous rencontrâmes les femmes de ménage venue comme à l'accoutumée effectuer leur travail. Elles comprirent immédiatement ce qui se passait et se mirent à pousser des youyous pour nous soutenir.

Nous fûmes transportés à l'hôpital où nous reçûmes les premiers soins par un personnel compatissant. Ma blessure à la tête fut cousue avec du fil, on me mit un bandage autour de la main, on me donna un cachet d'aspirine...et un lit mobile pour me reposer au milieu du couloir. J’avais une douleur aux côtes qui resta plus d’une année après.

Bientôt la population de la ville commença d'affluer vers l'hôpital. Après conciliabules, les « décideurs » choisirent de se débarrasser de nous au plus vite, avant que les « émeutiers » n'envahissent l'établissement. Ils nous remirent dans les bus, sans que nous sachions où ils nous emmenaient. En fait, ils nous renvoyaient dans nos villages.

Avec les salariés et étudiants du bus où je me trouvais, nous fûmes déposés à Boghni et dûmes rentrer à pied chez nous. Arrivé à Mechtras je n'avais pas besoin d'expliquer quoi que ce soit aux jeunes et aux moins jeunes. Spontanément, ils venaient à moi m'exprimer leur soutien. Nous formâmes rapidement un groupe qui, à la nuit tombée, s'était retrouvé dans une mansarde abandonnée à une centaine de mètres de chez moi. Nous y avions confectionné des banderoles et préparé la manifestation du lendemain. Ce fut la première manifestation populaire antigouvernementale depuis l'indépendance à Mechtras; le garde-champêtre Messaoudi, père d'un héros locale qui donna du fil à retordre à l'armée coloniale, ôta son chapeau et s'inclina devant le cortège de manifestants. Le lendemain, je reçu la visite d'Ali Zamoum que je ne connaissais que de réputation. Il avait été contacté par Kateb Yacine qui s'inquiétait pour moi. Ce fut le début d'une longue amitié. Avec son aide, je pus reprendre contact avec quelques collègues et amis encore en liberté.

Partout ailleurs, l'arrivée des blessés de l'université avait suscité la même indignation qu'à Mechtras. De partout les jeunes commencèrent d'affluer vers Tizi-ouzou.

Mais ça, c'est connu de tous.

Ramdane Hakem

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