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de Ramdane HAKEM

S'intéresse au devenir de l'Algérie dans la mondialisation

Question sociale et révolte populaire en Tunisie, Algérie, Egypte

Publié le 17 Février 2011 par Algérie en Questions in Algérie en projet

A l'ère de la mise en concurrence mondialisée des populations, les révoltes de la jeunesse, induites par la généralisation de l'exclusion (du travail, du logement, de l'éducation, de la santé, des loisirs....) sont porteuses d'un message clair : la stabilité politique, partout, ne sera effective que si elle garantit le progrès social pour tous. Trouver les modes de gouvernance qui marginalisent l'exclusion n'est pas seulement une exigence éthique, elle sera, de plus en plus, une condition essentielle de la permanence des Etats. C'est là une des idées que j'ai essayé de défendre dans cette interview paru dans le journal L'Humanité du 23 février 2011.

Ramdane Hakem

 

Quelle place la question sociale tient-elle dans les soulèvements populaires au Maghreb et dans le monde arabe ?

Ramdane Hakem. Elle est au cœur des soulèvements populaires en Tunisie, en Égypte et en Algérie. Vie chère, absence de revenu, précarité des emplois, de l'habitat, système de santé déficient… Tous ces problème sont à l'origine d'une demande sociale devenue impérieuse. Les conditions de vie en Égypte sont encore plus dégradées qu'en Tunisie et en Algérie. Des milliers et des milliers de familles sont sans domicile, le chômage atteint des niveaux records avec le reflux de l’activité touristique, l’inflation dépasse les 10%, et l’envolée des prix des produits alimentaires sur le marché mondial hypothèque jusqu’à la possibilité de se nourrir pour beaucoup de familles pauvres. Plus de 40% de la population égyptienne vit en dessous du seuil de pauvreté.

En Tunisie, le point de départ des manifestations populaires a été l’acte désespéré du jeune   Mohamed Bouazizi. Ce geste prolonge en fait la révolte durement réprimée des habitants du bassin minier de Gafsa, l'une des régions les plus pauvres du pays, contre l’iniquité des modes de recrutements pratiqués par la Compagnie des phosphates de Gafsa (5000 salariés directs).

Mais si la revendication sociale constitue sans aucun doute l’énergie de la révolte, l’intervention des classes moyennes dans les luttes a tendance à la reléguer au second plan. Ainsi, en janvier 2011, l’Algérie a été embrasée par des manifestations contre la vie chère, suite à une augmentation importante et subite des prix de produits de base. La demande sociale s'est alors exprimée par des jacqueries. Puis les  émeutes  populaires ont été relayées par des manifestations à Alger, à l' initiative d'acteurs se réclamant de la modernité et de la démocratie. La manifestation du 12 février 2011 exigeait « la levée de l’état d’urgence, l’ouverture du champ politique et médiatique et la libération des personnes arrêtées pour des raisons de manifestations  ou de délits d’opinion » : les revendications sociales ont disparu.
Cela n’a pas manqué de susciter des débats dans les embryons de syndicats autonomes ou parmi les militants ancrés à gauche. En fait, « l’affichage » des revendications sociales dépend du niveau d’organisation des premiers concernés, de la possibilité pour eux d’avoir des représentants qui comptent dans les instances dirigeantes de la révolte. La situation diffère d’un pays à l’autre. Alors que les structures intermédiaires de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) ont joué un rôle essentiel dans le soulèvement tunisien, l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), caporalisée, reste inféodée au système. Son secrétaire général, Madjid Sidi Saïd, au lieu d’associer son organisation au mouvement de protestation, a préféré mettre en place dans les usines des milices « pour les protéger des casseurs ». Ce qui entrave l’expression de la revendication sociale, c’est aussi la mise au ban de millions d’individus exclus du travail, de l’éducation, du logement, de la santé, des loisirs. Leur situation se prête moins bien que l’exploitation traditionnelle à un combat collectif organisé. Dès lors, l’émeute reste un mode d’expression privilégié du refus de l’injustice, mais le recours à la violence estompe jusqu’au contenu même de la demande sociale qui l’a suscitée.

Les effets de la crise globale du capitalisme sont-ils en cause ?

Ramdane Hakem. Avec la mondialisation, le fonctionnement normal du capitalisme au centre impose à la périphérie une contrainte d’efficacité telle que rares sont les sociétés qui parviennent à en relever le défi. Ces pays en développement, dont la Tunisie, souvent citée comme exemple d’adaptation réussie d’un pays du Sud à la mondialisation, ne parviennent à maintenir leur compétitivité qu’au prix d’une détérioration importante des conditions de vie et de travail. Avec la crise économique mondiale, la Tunisie et l'Égypte ont vu leurs exportations vers l'Union européenne et leurs recettes liées au tourisme s'effondrer. L’instabilité du marché international des matières premières alimentaires, en agissant sur les prix intérieurs des produits de base, vient détériorer davantage les revenus des familles les plus fragiles. En Algérie, c’est la montée des prix du sucre et des huiles sur le marché mondial  (montée que voulaient répercuter les importateurs sur les prix intérieurs) qui a mis le feu aux poudres.

 

Le chômage des jeunes est au cœur du désarroi social. Comment expliquer ce chômage massif structurel ?

Ramdane Hakem. Divers facteurs sont en cause. D'abord, la mise en concurrence mondialisée des travailleurs et des entreprises, qui rend la création d'emplois productifs extrêmement difficile. En Tunisie et en Algérie, l’abandon des activités agricoles a grossi l’exode rural et la masse des jeunes sans emplois dans les villes. Les dépenses de ces Etats sont étroitement surveillées par le FMI, plan d'ajustement structurel oblige. L’endettement extérieur de la Tunisie (12 à 14 milliards de dollars) lui impose une saignée annuelle, sous forme de service de la dette (remboursement d’une partie du capital et des intérêts) qui absorbe les faibles surplus dégagées par la surexploitation.

Par ailleurs, l'évolution démographique dans ces pays ne s'est pas soumise avec suffisamment de célérité aux besoins du capitalisme « postindustriel ». Malgré les politiques de limitation des naissances mises en œuvre, notamment en Tunisie,  l’évolution démographique  demeure  orientée par la coutume et la norme religieuse musulmane.

 

 Au-delà des réformes démocratiques, quelles transformations pourraient répondre aux aspirations des populations ?

Ramdane Hakem. Comment donner plus de travail aux gens, créer des emplois, sachant que ces pays ont le plus grand mal à s’adapter à la contrainte d’efficacité que leur impose la compétition mondialisée? C'est le cœur de la question. L’issue pour les pays du Maghreb pourrait se trouver dans la formation d’un ensemble régional adossé à l’Europe. Avec la création, pourquoi pas, d'une fédération nord-africaine qui se réapproprierait ses racines berbères ( au lieu du chimérique projet d’unification du monde arabe), capable de conclure une alliance stratégique avec l’Union européenne. Cela ouvrirait la voie d'un rééquilibrage de  la construction européenne, un projet centré sur l’Allemagne, de plus en plus tourné vers l’Est et dans lequel de grands pays comme la France, l’Espagne et l’Italie se trouvent rejetés à la périphérie.

 

Comment échapper aux fausses alternatives, comme celles que portent les mouvements politico-religieux ?

Ramdane Hakem. En relançant le progrès. L’islamisme dans sa version fondamentaliste est avant tout une idéologie du désespoir : l’âme d’un monde sans âme. La bataille pourra être gagnée ou perdue sur le terrain économique et social. En donnant du travail, un emploi, une protection sociale, une éducation à tous, les États de la région se garantiraient contre ce mal endémique.

Cela ne signifie pas qu’il faille se dispenser du combat sur le terrain politico-culturel. Il est impératif de séparer la religion et la politique. L'islam n’est pas en cause. Nombre de textes religieux offrent un  appui à la conception humaniste de l’islam.  C’est l’hégémonie de l’interprétation rétrograde du message coranique qui constitue un danger mortel pour tous, pour les populations musulmanes en premier lieu. Cette hégémonie de l’intégrisme violent sur l’islam contemporain ne saurait se comprendre sans les milliards de pétrodollars que l’Occident met à la disposition des monarchies moyen-orientales dont il est l’idéologie de pouvoir. L’islam est avant tout une institution. Pour garder sa pertinence, les normes qu’il préconise doivent être en permanence actualisées, contextualisées.

 

 

 

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H
<br /> C' est la fin du monde arabe !<br /> <br /> L' Afrique du Nord, va enfin pouvoir renouer avec ses racines Berbères.<br /> <br /> <br />
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