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de Ramdane HAKEM

S'intéresse au devenir de l'Algérie dans la mondialisation

Agir pour un pôle de gauche en Algérie (interview de Chawki Salhi)

Publié le 21 Mai 2011 par Algérie en Questions in Algérie en projet

Chawki Salhi, porte-parole du Parti Socialiste des Travailleurs a accordé une interview au journal Algérie News du 6 mars 2011. Ce vétéran du militantisme trostkyste donne son appréciation sur les mutations politiques en Tunisie et pointe la sous estimation de la question sociale par la CNCD en Algérie. Il affirme aussi la nécessité d'un grand pôle politique de gauche pour relever les défis d'aujourd'hui et de demain.

 

Algérie News : Vous revenez de Tunisie où vous aviez assisté au triomphe de la révolution du jasmin; quel diagnostic faites-vous de cette expérience unique, qui a constitué le détonateur d’autres soulèvements populaires ?

Chawki Salhi : Le modèle libéral benaliste tant vanté par nos élites politiques et tant choyé par les grandes puissances capitalistes a explosé. L’ordre autoritaire institué avec le programme d’ajustement structurel de 1985 est tombé sous les coups de ses victimes. Le premier acquis, immense, est ce sentiment de fierté, cette dignité retrouvée qui change le rapport de forces dans la société et permettra une insolence de ceux d’en bas. La société bouillonne, les gens discutent partout, des marches, des protestations sociales, une effervescence sur Internet, la vie associative se reconstruit. A Tunis, personne ne parle de jasmin. La préoccupation centrale : démanteler le système despotique. Autour, on parle de fiche de paie, de titularisation, de chômage massif des jeunes diplômés, de régions désertifiées, et du rôle des structures de l’UGTT qui ont vertébré la révolte, l’auto-organisation populaire, toutes choses occultées par la propagande impérialiste. Mais la révolution tunisienne est en mal de perspectives. Dégager Ben Ali et les symboles de son régime ne suffira pas pour sortir de la dépendance et bannir la précarité sociale ainsi que l’autoritarisme politique qui va avec. Des décennies de glacis benaliste ont empêché que se constituent des représentations politiques, que se dessinent des alternatives. La révolution tunisienne commence à peine.

 

Les « révolutionnaires » en Tunisie craignent-ils à ce que l’Algérie perçoive mal le changement ? Est-ce que vous aviez relevé cette crainte auprès des Tunisiens ?

Avant la chute de Ben Ali, on attendait la solidarité du peuple algérien. Ensuite, les luttes massives provoquées dans la région par le 14 janvier ont conforté la fierté des Tunisiens.

 

Pour certains, la manière et surtout la célérité avec laquelle se sont opérés les changements en Tunisie et en Égypte, et éventuellement en Libye, laisseraient entrevoir un agenda préétabli de la part des grandes puissances dans le cadre de la mise en place du projet du Grand Moyen- Orient. Qu’en dites-vous et croyez-vous à la théorie du complot ?

Ce sont les masses qui font l’histoire et non les complots. Les USA, L’UE, Israël ont soutenu Ben Ali et Moubarak jusqu’à la dernière minute. L’Égypte est un pays central dans le dispositif US de domination du monde. La rapidité de l’effondrement de ces dictatures libérales à leur service les a pris de court. La contagion et la perspective d’autres déstabilisations les inquiètent. Le complot consiste à parler d’une révolution du thé à la menthe pour dissimuler que ce sont leurs alliés qui sont contestés par les peuples. Le complot consiste à agir pour que rien ne change, afin d’assurer la continuité de la soumission à l’ordre impérialiste, la pérennité de l’ordre social injuste.

 

L’avènement d’une nouvelle société civile dans ces pays n’annonce-t-elle pas la mort du nationalisme arabe, longtemps brandi par les dictateurs déchus pour se maintenir au pouvoir ? Ne risque-t-on pas de se retrouver face à des États dociles et compromis avec les forces étrangères qui s’affichent ouvertement, allant jusqu’à proposer leurs services aux insurgés ?

Il y a longtemps que ces régimes alliés d’Israël, ne sont plus ni nationalistes arabes, ni nationalistes égyptiens ou tunisiens. Les grandes puissances s’efforcent effectivement, de nous vendre des remplaçants encore plus soumis comme Baradei, comme les lieutenants de Ben Ali ou les courants libéraux algériens. Il s’agit de garantir que le système en place soit la continuité du précédent.

L’Algérie n’a pas été en reste de la nouvelle dynamique, à une seule différence que le changement escompté par certaines organisations et partis politiques n’arrive pas à prendre forme. En quoi d’après vous, l’Algérie diffère-telle de la Tunisie et de l’Égypte ?

L’insurrection populaire en Tunisie a surpris une Algérie émeutière, dans une phase de contestation générale de Bouteflika. L’explosion du 5 janvier a vite déçu et provoqué un repli attentiste sur le plan politique, qu’on aurait tort d’identifier à un soutien à Bouteflika. Simplement, après avoir appelé à enlever Mesmar Djeha en 1991 et subi les horreurs qui ont suivi, les masses populaires ne peuvent se contenter de dire «dégage» ! Elles veulent préciser l’alternative pour laquelle elles mettraient à bas l’ordre libéral autoritaire actuel. Mais l’impact tunisien est réel. L’absence temporaire de contestation politique du régime, n’empêche pas une radicalité sociale impressionnante, le sentiment largement partagé d’une urgence à remettre en cause la précarité sociale et à contester l’arbitraire quotidien. Les Algériens sont très attentifs et prêts à se mettre en mouvement si les perspectives politiques se précisent. C’est ce qui panique Bouteflika, qui multiplie les gadgets. Les grèves générales massives des paramédicaux, des communaux, des profs, les révoltes des chômeurs, les luttes des précarisés, la mobilisation des étudiants, le réveil ouvrier, tout cela me semble plus important que la tentative ultra-médiatisée d’offrir une direction libérale à la protestation populaire. Cette manœuvre dérisoire me fait penser à une coordination semblable qui tenta de cornaquer le mouvement populaire de 2001, avant que le reflux du mouvement ne facilite la folklorisation autour d’une prétendue coordination des tribus anachronique et impuissante.

 

Ne pensez-vous pas que l’avantage en Algérie, c’est la présence de syndicats autonomes, de partis politiques ? En somme, une société structurée, mais qui n’arrive pas à retrouver ses repères ?

Chaque pays a ses spécificités. La révolte d’Octobre 88 nous a donné des libertés en cours d’étouffement, un pluralisme politique et une presse privée impertinente. Vingt ans après, c’est le désenchantement. Tous les partis ont perdu leur crédibilité. L’engagement politique et même syndical est suspect d’arrivisme social ! Les secteurs combatifs de l’UGTA et les syndicats autonomes représentatifs, n’interviennent pas dans la contestation politique, pas plus que les directions spontanées qui naissent à l’université où chez les jeunes. Le renversement de Ben Ali et Moubarak met au premier plan l’armée. On a connu ça en 1992. Les peuples égyptiens et tunisiens vont devoir inventer la suite. Nous aussi !

 

Des initiatives ont vu le jour depuis le 12 février, avec la création de la CNCD et de l’ANC. Il y a également, des collectifs estudiantins, qui se sont constitués, au point d’évincer les syndicats traditionnels. Peut-on arriver à un changement pacifique par des actions coordonnées entre les acteurs de la société civile ?

Il y a eu aussi plusieurs initiatives de gauche que la presse n’a pas daigné relayer. Si la CNCD s’était construite comme coordination démocratique ponctuelle pour les libertés, pour l’ouverture médiatique, nous aurions convergé avec elle. Et ce sera toujours possible. Elle s’est constituée comme alternative politique, comme coalition pour le changement de régime, tout comme l’ANC. Avec en plus, une rigidité et un parfum de parti unique si courant dans notre pays. Nous ne sommes plus en 88. L’Algérie a vécu diverses expériences et elle porte un jugement sévère sur les divers acteurs qui se sont succédé sur la scène politique au pouvoir comme dans l’opposition. Bien sûr, l’action pacifique a ses limites. Mais on n’en est pas là. Cette coalition n’était simplement pas représentative des préoccupations du peuple. Son écho médiatique national et international surdimensionné souligne aujourd’hui, cruellement, sa petitesse et son inconséquence.

 

Pourquoi ces initiatives ont-elles toutes échoué ? Pourrait-on justifier cet échec par le simple déploiement des forces de sécurité ?

Le déploiement policier empêche-t-il les étudiants de marquer des points, les chômeurs d’occuper les APC, de couper les routes, a-t-il empêché les centaines de milliers de Tunisiens et d’Égyptiens de chasser leur dictateur ?

 

Comment percevez-vous la présence au sein des nouvelles initiatives pour le «changement» d’anciens ministres et personnalités ayant servi au sein des gouvernements successifs ?

Le gouvernement Benbitour et ses deux ministres RCD a commis le programme de gouvernement le plus libéral de notre histoire. C’était l’époque où Bouteflika voulait tout vendre. D’autres anciens Premiers ministres viennent en propriétaires de l’opposition. Et même ceux qui n’ont jamais gouverné, faut-il les appuyer sans prendre en compte leur programme, qui est fait de surenchère libérale et d’appels aux puissances civilisées ?

 

Dernier mot ?

Voici venu le temps de la décantation politique ! À Tunis, au Caire ou à Alger, on ne pourra pas se suffire de dire «dégage», «barra». Il faut définir plus précisément le chemin vers un ordre social et politique qui bannisse l’oppression, l’exploitation et la tutelle impérialiste. Les islamistes, les libéraux démocrates ont montré leurs limites, il faut agir pour un pôle de gauche dans notre société.

 

Entretien réalisé par Arezki Louni

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