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de Ramdane HAKEM

S'intéresse au devenir de l'Algérie dans la mondialisation

Retour sur l'importance du 20 avril 1980

Publié le 10 Mai 2020 par Algérie en Questions

Ma réponse au commentaire de Youcef Benzatat sur Algérie patriotique
Cher compatriote,
Votre commentaire sur Algérie patriotique, que vous publiez par ailleurs, me déçoit en raison de son caractère à la fois mensonger et vindicatif.
Dans ce texte vous considérez que le printemps amazigh est l’expression d’un mouvement berbériste identitaire ethniciste de type nazi. Tout en reconnaissant que la question identitaire est un vrai problème de société en Algérie, vous dites que les conditions du combat anticolonial puis le caractère autoritaire du régime post indépendance ont imposé l'arabe comme référent identitaire national. Vous admettez toutefois que cette option n'a pas tenu compte de la complexité des soubassements culturels de l'Algérie. Et vous écrivez qu’afin de surmonter cet écueil, il conviendrait d’appréhender l'identité algérienne comme résultant d'un métissage. La langue derja, expression de ce métissage, devrait, selon vous, être érigée en véhicule de la communication commune de tous les Algériens.
Un point de vue contradictoire
La première fragilité de votre point de vue est dans son caractère contradictoire. Vous prétendez ne pas être concerné par les revendications du Printemps amazigh, mais tout votre brulot prouve le contraire. Il nous dit que vous vous positionnez dans le camp adverse, celui des « Badisso-novembristes », ce qui, je l’espère, n’est pas le cas.
De même, vers la fin de l’écrit, vous affirmez avec raison que tout débat focalisé sur l’opposition des identités arabes et amazighes conduirait à une impasse. Ne voyez-vous donc pas que l'essentiel de ce que vous dites ne fait qu’alimenter cette opposition ?
Enfin, vous concluez en affirmant que la solution de la problématique réside dans l'appréhension de l'identité algérienne comme résultant d'un métissage. Cela a été formulé d’une meilleure façon en 1949 par les «Berbéristes » que vous diabolisez.
Un réductionnisme dangereux
Selon vous le printemps 1980 n’exprime que la revendication amazighe. Ne savez-vous donc pas que nous avions posé exactement au même titre que Tamazight l’exigence de reconnaître l’arabe algérien, que vous appelez derja ? Que des actions d'éducation populaire exceptionnelles étaient réalisées partout où cela était possible, essentiellement en derja, par la troupe Debza et le théâtre régional de Sidi Bel Abbès, sous la direction de feu Yacine Kateb ?
Plus important encore, la question de la culture et des langues populaires n’était pour nous qu’un des trois grands axes soulevés pour transformer la forme de l’État et la société. Le second axe tout aussi crucial est celui des libertés démocratiques pour lesquelles manifestent aujourd’hui des millions d’Algériens. Le troisième et non moins vital est celui de la justice sociale sans laquelle la paix civile ne saurait être maintenue.
Je vous signale qu’en réduisant ainsi la portée d’Avril 1980, vous insultez les dizaines d’animateurs du mouvement dont beaucoup étaient arabophones. Je pense en particulier, pour ce qui est de l’université de Tizi-ouzou, à trois professeurs, dont deux sont originaires de Constantine, qui ont joué un rôle clé durant ces moments exceptionnels, et qui furent interpellés et torturés.
L'analogie que vous faites entre berbérisme et nazisme est une insulte
Le printemps 1980 était un mouvement riche de sa diversité. Mais dans votre présentation, vous n’en retenez que les activistes pour lesquels la revendication amazighe était ce qui compte d'abord et avant tout. Le mot de ralliement de ces militants était : Tamazight point. Pour d’autres, dont je fais partie, c'était : Tamazight plus.
Et puis après ? à supposer qu’il n’y avait en 1980 que les premiers, comment osez-vous traiter ces militants de nazis ? Ont-ils, depuis 1962, mobilisé les moyens de l'État pour éradiquer toute forme d'expression de la langue et de la culture arabes ? Ont-ils jeté des enfants en prison pour avoir dessiné sur la table de classe un caractère arabe ? Ont-ils dépensé des milliards pour imposer comme vecteur unique d'enseignement une langue qui n'est parlée par aucun algérien dans sa vie quotidienne ? Remarquez que je ne dis pas que la politique systématiquement mise en oeuvre pour éradiquer la dimension amazighe de l'identité nationale est d'inspiration nazie. Je ne le dis pas, car ce serait faux, comme est fausse votre caractérisation de l'idéologie populiste berbériste.
L'extrémisme berbériste vient de la répression
Je ne le dis pas, car ce serait faux, comme est fausse votre caractérisation de l'idéologie populiste berbériste. Comme tout mouvement de masse, la revendication amazighe est portée par des courants différents, dont certains effectivement étaient et sont extrémistes.
Jamais dans l’histoire de l’Algérie indépendante les porteurs de ces idées extrémistes n’ont été aussi marginalisés qu’au printemps 1980. Non, pas jamais. Ils le sont de nouveau grâce au Hirak qui a restauré la fraternité que nous voulons indestructible entre tous les enfants de l’Algérie.
L’histoire de la revendication amazighe a eu des moments où les points de vue extrémistes ont gagné de l’audience. Cette « radicalisation », si nous la lisons du point de vue patriotique algérien, est une réponse de jeunes désorientés par les agissements d'un État qui cherche à les nier. Remarquez que ces extrémistes n’ont, à ce jour, tué personne. Les assassinats massifs d’Algériens, vous savez comme moi de quelle idéologie se revendiquent leurs auteurs. L'Académie berbère des années soixante-dix, au-delà de ses excès de langage, était une forme primaire d'opposition à la politique culturelle éradicatrice mise en œuvre par le Président Boumédiène et Ahmed Taleb Ibrahimi. Le projet du MAK aujourd’hui est non seulement éloigné des valeurs du printemps 1980, mais encore, il est une des conséquences prévisibles du printemps noir, un épisode durant lequel, faut-il vous le rappeler, 130 enfants de Kabylie furent assassinés par les services de l'État.
Que pensez-vous donc qu’il se passe lorsqu’une revendication récurrente, portée par des millions de gens, est privée de débouché, ne trouve en face d’elle que manipulation et violence pour la réduire ?
Un consensus populaire existe autour de la reconnaissance de la dimension amazighe de l'Algérie
Un consensus populaire existe autour de la reconnaissance de la dimension amazighe de l'Algérie Le paradoxe est que vous écrivez ne pas être concerné par le Printemps amazigh au moment où ses revendications sont plébiscitées par tout le peuple algérien.
Les détenteurs du pouvoir de décision au sein de l’État ont tout tenté dans le dessein de fabriquer une opposition Arabe/Kabyle, et utiliser cette séparation comme levier pour détruire le Hirak. Cela a commencé par les arrestations au sein de l’armée qui ciblaient plus particulièrement les cadres d’origine kabyle ou acquis à l’idéal d’une Algérie riche de sa diversité. Il y eut ensuite la campagne d’interpellations des jeunes porteurs de l’emblème amazigh, et ils ne sont pas que Kabyles, ces jeunes qui dessinent par leur souffrance les contours de l’Algérie nouvelle. La campagne ignominieuse anti-«zouave » menée par les pseudos « badisso-novembristes » a culminé avec l’opération directement raciste, c’est ici qu’est le nazisme M.Benzatat, dite « zéro qbaïli ».
Toutes ces manœuvres furent vaines : dans les quatre coins du pays, l'emblème amazigh est brandi aux côtés du drapeau national.
Vous savez, je soupçonne que votre attaque n’est en vérité qu’une réaction de défense d’un adepte de l’idéologie arabo-islamique. N’ayez pas peur de la réappropriation de notre dimension amazighe ; elle ne signifie nullement un quelconque reniement de notre dimension arabo-musulmane et universelle. C’est un lien social de plus qui nous unira entre Algériens et au-delà pour affronter les défis du XXIème siècle.
Métissage et Derja
Le caractère artificiel, incongru, de cette polémique que vous ouvrez est souligné par le fait que les conclusions auxquelles vous parvenez ne sont pas si éloignées des propositions réaffirmées durant le Printemps amazigh. Vous admettez, comme nous, que l'identité algérienne est formée de multiples composantes. La dimension amazighe et africaine originelle n'exclut pas la dimension arabo-musulmane, ni même l'apport occidental. Vous utilisez le vocable de métissage pour désigner une telle diversité ; il ne me paraît pas adéquat, car il fait référence à des races différentes qui se mélangent ; le Printemps amazigh exclut l'approche de l'identité nationale en termes de races, qu'elles soient métissées ou non. L’approche en termes d’Algérie algérienne que les « berbéristes » ont préconisée en 1949 (parmi eux, Sadek Hadjerès, que Dieu lui prête longue vie, explique qu’ils ne l’étaient pas, « berbéristes ») est, me semble-t-il, plus pertinente.
Vous souhaitez à la derja un grand destin national comme langue de communication entre Algériens. Pourquoi pas ? Encore faut-il qu'elle soit reconnue comme langue nationale, une revendication que nous, mais pas vous, avions faite en 1980. Mais à la façon dont vous avez formulé ce souhait, je soupçonne que votre intention inavouée est de vous en servir comme paravent afin d’éradiquer tamazight. Il n’empêche, en 1980, lors d’une discussion avec Ali Zamoum dont je venais de faire la connaissance, il m’avait dit la même chose. La derja peut devenir la langue de communication entre tous les Algériens si elle est, comme c’est le cas aujourd’hui, adoptée librement et non au moyen de discriminations quelconques.
Pour finir, M.Benzatat, je voudrais vous rappeler que tout au long de sa longue histoire, notre pays a trop souvent été écrasé par des puissances étrangères. Pour en rendre compte, l’idéologie dominante met l’accent sur l’agressivité impérialiste des forces extérieures qui nous ont soumis. Après Malek Bennabi, je voudrais attirer votre attention sur les causes internes, sur notre incapacité à tisser des liens solides pour résister ensemble à la tempête. Près de soixante ans après l’indépendance la tempête se lève. Vous avez le choix, serez-vous de ceux qui font ou de ceux qui défont l’Algérie ?
Avec toutes mes salutations patriotiques.
Ramdane Hakem

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